
Auditorium virtuel Claude Ballif
Esotérik Satie
Dans un élan mystique, Erik Satie crée son église : "l’Église métropolitaine d’art de Jésus-Conducteur"
et lance des anathèmes contre les "malfaiteurs spéculant sur la corruption humaine". Il en est à la fois
trésorier, maître de chapelle, grand-prêtre, rédacteur du bulletin paroissial mais surtout...unique fidèle.
En 1891, Satie s'intéresse à l'Ordre de la Rose-Croix catholique et esthétique du Temple et du Graal fondé par le "Sar" Joséphin Peladan, surnommait : "le Mage d’Épinal". En qualité informelle de maître de chapelle de cet ordre, il compose plusieurs œuvres dont les Sonneries de la Rose-Croix et Le Fils des Étoiles.
L’ésotérisme était très à la mode à la fin du XIXème siècle. La plupart des artistes ont suivi cette tendance.
Par contre en pré-dadaïste Satie n’oubliait jamais, lui, l’ironie et la distanciation par rapport au sujet.

"J’écrivais à ce moment Le Fils des étoiles sur un texte de Joséphin Péladan et j’expliquais à Debussy le besoin pour un Français de se dégager de l’aventure Wagner, laquelle ne répondait pas à nos aspirations naturelles et lui faisais remarquer que je n’étais nullement anti-wagnérien, mais que nous devions avoir une musique à nous, sans choucroute si possible." : Raconte Satie

Carte de visite d'Erik Satie lorsqu'il demeurait au 6, rue Cortot à Montmartre

Satie, fils de lumière !?

"Rien ne me satisfait plus que d'aller contempler les vitraux de Notre Dame ou de me plonger dans des archives médiévales".
"Respirer la lumière qui éclaire le silence"


Après sa rupture avec Péladan, les aventures mystiques d’Érik Satie ne s’arrêtent donc pas, car il rencontre aussitôt Jules Bois, le directeur de "Cœur", revue consacrée à l’ésotérisme et à la littérature et l’art. Érik Satie annonce bientôt dans cette revue la fondation de sa propre organisation mystique : l’Église métro politaine d’art de Jésus conducteur : Mes frères, nous vivons en une heure troublée où la société occidentale, fille de l’Église catholique apostolique romaine, est envahie par les ténèbres de l’impiété, mille fois plus barbare qu’aux temps du paganisme […] nous avons donc résolu […] d’édifier dans la métropole de France […] un temple digne du sauveur, conducteur et rédempteur des peuples, nous en ferons le refuge où la catholicité et les arts […].
Son Église aura pour "abbatiale" son minuscule appartement, au 6 de la rue Corot, à Paris. Cette création ressemble à une gigantesque farce. Pourtant, Satie s’est efforcé d’en décrire la structure, la hiérarchie et l’organisation avec un tel luxe de précisions que l’on peut s’interroger sur ses véritables intentions. Il ira en effet jusqu’à publier un journal, Le "Cartulaire", organe officiel de son Église. La farce dut lui coûter cher, car il utilisa pour le financement de cette publication la plus grande partie d’un héritage arrivé au bon moment.
Le "Cartulaire" relate les activités mondaines du maître, et dénonce et excommunie certaines personnalités parisiennes. il allait pouvoir se livrer à une imprécation généralisée. Tout y passa : le Conservatoire, l’Académie Française qui l’avait refusé par trois fois, les critiques, toujours eux, Lugné-Poë, le fondateur du Théâtre de l’œuvre, sans oublier Bertrand, le directeur de l’Opéra qui avait dédaigné USPUD, son ballet chrétien. C’est pour son Église qu’il compose "La Messe des pauvres" pour orgue et chœurs.
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Selon son fondateur, l’Église métropolitaine d’art de Jésus conducteur devait dénombrer : 1 608 040 290 membres actifs. En fait, il semble qu’elle n’ait pas dépassé le nombre de deux, Satie et son ami Contamine de Latour. Satie a décrit et dessiné les costumes des membres de son Église avec un grand luxe de détails. Chaque dignitaire porte un costume particulier. Le parcier, titre que se donne Satie au sein de cette Église, porte robe rouge et capuce violet. Le grand définiteur, le grand penedent et le grand cloistrier portent robe rouge et capuce blanc. Les définiteurs, au nombre de dix, portent robe rouge et capuce gris. Les autres dignitaires, penedents et cloistriers, sont en robe violette. Les vêtements des chevaliers sont composés d’une cotte de mailles à capuchon, à manches et à jambières, d’une robe à capuce, d’un heaume conique à nasal et de gants de mailles. Ils sont armés d’une épée de bataille et d’une "lance de cinq mètres ".
Mais le Parcier ne s’arrête pas là, il fonde également l’abbaye des Trépassés, les Capuchets ou Frères infimes, l’ordre des Chevaliers du Torcol et l’ordre des Humulins. Chacun d’eux est décrit avec force détails. Ajoutons encore à cette liste d’organisations aussi fantaisistes que fantomatiques celles des Chevaliers de Terre sainte et des Pauvres Chevaliers de la Sainte Cité, et nous aurons la liste complète du royaume dirigé par le musicien. Qui pouvait prendre cela au sérieux en dehors d’Érik Satie lui-même ? Il est probable que ces projets visaient surtout à caricaturer l’ordre fondé par le Sâr Péladan.