
Auditorium virtuel Claude Ballif
Avant dernières pensées
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale en juillet 1914 fut un revers pour Satie au moment même où il commençait à être reconnu tardivement comme compositeur. Bien qu'à 48 ans il soit toujours un civil, les conditions de guerre perturbèrent sérieusement la vie musicale française.








Hommage appuyé, sur cette page, à Anne Queffélec pour le rayonnement qu'elle donne à l'œuvre de notre cher compositeur. Elle interprète ici : Idylle , dédiée à Claude Debussy. C'est l'une des 3 pièces qui composent certainement la dernière des suites humoristiques pour piano des années 1910.
Dès 1914, les éditeurs cessèrent de lui commander de la musique
La publication de ses compositions fut suspendue pendant au moins deux ans. Comme il avait renoncé à jouer du piano dans les cabarets parisiens (sa principale source de revenus pendant de nombreuses années) Satie ne pouvait subsister que grâce à la générosité de ses amis et à des cours particuliers occasionnels (l'un de ses élèves pendant la guerre était le riche chimiste et compositeur à temps partiel Albert Verley , dont Satie a arrangé les Pastels sonores pour orchestre et pour piano à quatre mains en 1916). En août 1915, il fit appel au compositeur Paul Dukas pour l'aider à obtenir une aide financière d'organisations caritatives, remarquant : "Pour moi, cette guerre est comme une sorte d'Apocalypse, plus idiote que réelle". L'aide a du lui parvenir, car Satie put travailler sur "les pensées".
Intitulées à l'origine "Étranges rumeurs", les trois pièces composant "les Avant-dernières pensées" furent dédiées à trois personnalités qui comptèrent dans la vie de Satie :
1. Idylle , pour Claude Debussy
2. Aubade , pour Paul Dukas
3. Méditation , pour Albert Roussel
Debussy fut l'ami le plus proche de Satie pendant plus de vingt ans, mais leurs relations devinrent tendues à cette époque et finirent amèrement en 1917.
Dukas était un ami fidèle des deux. Roussel fut le professeur de contrepoint de Satie à la Schola Cantorum (1905-1908) et le guida dans le développement de son style contrapuntique de maturité. Dans les années 1920, Satie défendit avec véhémence Dukas et Roussel contre leurs critiques au sein de l'establishment musical français.
Contrairement à la plupart de ses autres suites pour piano de l'époque, les pensées ne contiennent aucune citation musicale à des fins parodiques, et Satie ne tente pas non plus de pasticher ses collègues compositeurs. Dans chaque pièce, des phrases mélodiques bitonales évoluent sur un ostinato immuable joué du début à la fin : un motif à quatre notes dans l'Idylle , des triolets rapides dans la Méditation. Dans l'Aubade, il prend la forme de deux accords arpégés (le second joué deux fois) qui suggèrent le grattage d'une guitare ou d'une mandoline. Les conclusions des deux mouvements extérieurs sont discrètement ponctuées d'un seul accord ; le grattage obstiné a le dernier mot dans l'Aubade.

Le téléfilm Satie et Suzanne, réalisé par Tim Southam en 1994 pour la CBC, présente un numéro de danse élaboré sur la musique d'Aubade tirée des Avant-dernières pensées . Il a été chorégraphié par Veronica Tennant , qui joue dans le film l'ancienne amante de Satie, Suzanne Valadon . Le pianiste de la bande sonore est Reinbert de Leeuw
En 1916, avec la reprise progressive de la vie culturelle à Paris Satie revit
Il donne une lecture des Avant-dernières pensées lors d'un concert de la Société Lyre et Palette le 18 avril avant la première officielle à la Galerie Thomas. Cette dernière s'inscrit dans le cadre d'un concert de bienfaisance "pour les artistes touchés par la guerre" parrainé par Germaine Bongard, sœur du couturier Paul Poiret, et dont le programme est conçu par Henri Matisse et Pablo Picasso. Grâce en partie à la mécène de Satie, Misia Sert, l'événement attire Le Tout-Paris. La biographe Mary E. Davis note : "Pour Satie, la soirée chez Bongard marque un tournant important dans sa carrière, l'établissant fermement comme un chouchou du milieu créatif et jetant les bases de son entrée dans les domaines artistiques les plus nobles de la ville". Rouart-Lerolle publia donc la partition en 1916, mais Satie s'était alors tourné vers des projets plus importants : son ballet Parade (1917) était en cours de planification et vers la fin de l'année, il recevrait la commande de Socrate (1918). La parodie néoclassique unique Sonatine bureaucratique (1917) constitua ce que Steven Moore Whiting appelait "le point culminant et aussi la fin de la musique humoristique pour piano de Satie".