Auditorium virtuel Claude Ballif
En habit de cheval
Erik Satie évoque-t-il un cheval devenu habit ou l'habit porté par un cheval pratiquant l'équitation ? Toujours est-il qu'il ne s'agit en aucun cas d'un habit de cavalier.
En habit de cheval est un recueil de quatre pièces pour piano à quatre mains d'Erik Satie, composé en 1911 et orchestré la même année par l'auteur.
A l'instar des Aperçus désagréables, du passage de Satie à la Schola Cantorum1, En habit de cheval est composé en 1911.
Guy Sacre imagine Erik Satie "attelé aux règles austères du contrepoint, harnaché d'expositions, de développements, de strettes, et tâchant de conserver son allant naturel...".
La partition est publiée en 1911 par Rouart-Lerolle et présente deux paires de choral et fugue.
Le cahier, d'une durée moyenne d'exécution de six minutes environ, comprend quatre mouvements :
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Choral — Grave
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Fugue litanique — Soigneusement et avec lenteur
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Autre Choral — Non lent
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Fugue de papier — Assez modéré
La musicologue Adélaïde de Place détaille la succession des mouvements, avec en ouverture un court Choral de "douze mesures nobles et solennelles", puis une Fugue litanique « véritable fugue d'école au sujet sobre et mélancolique ». L'Autre Choral qui suit est encore plus bref que le choral initial et expose un "langage harmonique particulièrement riche". Enfin, la Fugue de papier qui clôt le recueil présente un long sujet qui "déborde d'une plaisante légèreté".
En habit de cheval connaît également une version orchestrale, de la main de Satie lui-même. Plus que l'orchestration, "pourtant élaborée", Michel Parouty retient "la simplicité mélodique de ces quatre morceaux [...] de même que le caractère étrangement moderne de la seconde fugue, aux dissonances ambiguës".
Envisagé comme un nouvel opus Divertissement, suggérant ironiquement un divertissement léger, Satie opte pour titre très énigmatique : "En habit de cheval". Il explique alors, bien plus tard, que le "matériel d'équitation..." du titre n'était pas celui du cavalier mais celui du cheval...(laissant entendre qu'il s'agirait d'un cheval qui pratique l'équitation...En habit).
Il s'agissait peut-être de sa riposte sournoise au directeur de la Schola, Vincent d'Indy , qui lui avait dit de "s'en tenir aux règles du passé" qu'il a violées de manière rebelle dans cette œuvre. C'est une œuvre de transition, composée vers la fin des études de Satie à la Schola Cantorum de Paris et préfigurant sa période "humoristique" ou "fantastique" d'avant la Première Guerre mondiale.
Robert Orledge a écrit que : "En habit de cheval offre le meilleur exemple de Satie intégrant l'enseignement de la Schola à sa propre composition, et il y a également élaboré son propre concept individuel d'orchestration".
Pour le pianiste Olof Höjer : "Le choral d'introduction est impressionnant, c'est une sorte de portail grandiose qui guide l'auditeur vers le reste de l'œuvre".
La Fugue litanique rappelle ironiquement les influences médiévales et religieuses de la période "rosicrucienne" de Satie, des années 1890, qu'il avait depuis longtemps rejetées comme étant une "musique à genoux". De style dorien, la fugue s'appuie sur un sujet bourdonnant de plain-chant. Mais le véritable tour de force de Satie tient de sa Fugue de papier, ingénieusement construite, dans laquelle Satie inverse l'exposition de la fugue classique : le sujet commence sur la sous-dominante, au lieu de la tonique, et est répondu par la note clé. Satie était fier de cette pièce, affirmant que sa capacité à créer une "nouvelle fugue moderne" représentait l'aboutissement de ses années d'études assidues.
Le Sarrusophone
Son utilisation dans la version orchestrale contribue à ajouter une masse amusante et pesante au Choral d'ouverture. Les sarrusophones étaient une famille d'instruments à anches doubles comme les hautbois et bassons, mais métalliques et non en bois. Le sarrusophone est une invention française qui va tomber en désuétude un peu avant la seconde guerre mondiale, mais des grands compositeurs auront écris pour lui, tel que Satie, Debussy, Gounod, Massenet, Ravel, Saint Saëns, Stravinsky...Il a souvent été utilisé en orchestre symphonique pour remplacer le contrebasson (Beethoven, Berlioz, Richard Strauss...). Il a également été utilisé occasionnellement dans la musique jazz par Sidney Bechet. On peut encore entendre aujourd'hui quelques sarrusophone graves se produire
L'année 1911 marque un tournant pour Satie, car après des décennies d'obscurité relative, il est soudainement propulsé sur le devant de la scène. Le 16 janvier, Maurice Ravel joue quelques-unes de ses premières pièces pour piano lors d'un concert parrainé par la Société musicale indépendante (SMI), qui commence à le promouvoir comme un important précurseur des tendances modernes de la musique française
Satie était plutôt fier de cette œuvre à quatre mains
Voilà ce qu'il écrit :
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(Lettre du 4 août 1911, à son élève Roland-Manuel, parlant d'Albert Roussel son ancien professeur)
Parlant d'Albert Roussel, son ancien professeur :
"Je lui ai joué ce que vous savez d'En habit de cheval et l'exposition de l'autre fugue, la "Fugue de papier". Le tout l'a amusé ; il m'a donné raison dessus cette idée nouvelle de fugue : tout pour les expositions. Il en aime les petites harmonies".
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(Lettre à son frère Conrad, 8 août 1912)
"En habit de cheval se compose de deux chorals et de deux fugues. J'ai trouvé là la fugue moderne qui n'existait pas. La forme de la fugue était considérée comme incompatible avec nos idées modernes. J'ai mis huit ans à réaliser la nouvelle fugue".
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(Lettre du 14 septembre 1911)
À propos de l'orchestration de cette œuvre :
"Je dispose mon orchestre pour "En habit de cheval" : deux flûtes ; deux hautbois ; un cor anglais ; deux clarinettes ; deux bassons ; un sarussophone ; deux cors (c'est un instrument que je méprise) ; deux trompettes (il n'en faut jamais plus) ; trois trombones ; un tuba ; un contrebasse-tuba ; batterie et le reste bien entendu".
De nombreux critiques musicaux encore aujourd'hui estiment que "En habit de cheval" est certainement la création de Satie la plus attachante.
