
Auditorium virtuel Claude Ballif
Je me tiens mieux à table qu'à cheval...
Personnellement, j’ai toujours eu pour l’Art Culinaire une vive admiration, admiration nullement mitigée. Les "plaisirs de la table " sont loin de me déplaire, au contraire ; et j’ai pour la "table" une sorte de respect, plus, même. Qu’elle soit ronde ou carrée, elle m’apparaît "cultuelle" et m’impressionne comme un grand autel (même "Terminus" ou "Continental", si j’ose dire). Oui.






En cliquant dans la poêle vous pourrez
multiplier les œufs et rassasier Satie







Pour moi, manger est un devoir, un devoir agréable de vacances, bien entendu ; et je tiens à accomplir ce devoir avec une exactitude et une attention soutenues. Doué d’un bon appétit,
je mange pour moi, mais sans égoïsme, sans bestialité. Autrement dit, je me "tiens mieux à table qu’à cheval" bien que je sois assez bon cavalier.
En Art, j’aime la simplicité ; de même, en cuisine.
Dans les repas, mon rôle a son importance : je suis convive, comme, au théâtre, d’autres sont spectateurs. Oui… Le spectateur a un rôle défini : il écoute et voit ; le convive, lui, mange et boit. En somme c’est la même chose — malgré toute la dissemblance qui existe entre ces deux rôles. Oui.
Les plats où se dépensent une virtuosité calculée, une science avisée ne sont pas ceux qui retiennent le plus mon attention "dégustatrice". En Art, j’aime la simplicité ; de même, en cuisine. J’applaudis plus à un gigot bien à point qu’au subtil ouvrage d’une viande dissimulée sous les "fards savants d’un maître de la sauce" si vous voulez bien me permettre cette image.
Mais ceci est une autre histoire.
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Des œufs et des côtelettes façon Debussy.
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Satie venait régulièrement au 42 de la rue de Londres, à l’angle de la rue d’Amsterdam, se régaler des œufs et des côtelette d'agneau que lui cuisinait son ami Debussy. Mais quels œufs et quelles côtelettes !… Je m’en lèche encore les joues, intérieurement, vous le devinez. Debussy qui les préparait, avait le secret (le secret le plus absolu) de ces préparations. Le tout s’arrosait gracieusement d’un délicieux bordeaux, d’un de ces "petit-vin-blanc-je-ne-vous-dis-que-ça" dont les effets étaient touchants et disposaient convenablement aux joies de l’amitié et à celles de vivre loin des "Doubles Veaux", des " Momifiés" et autres "Vieilles Noix" ces fléaux de l’Humanité et du " pauvre monde".​
​Un beau jour de juin, à l'occasion d'un bon repas, Debussy lui présenta : Igor Stravinsky.

Satie un dimanche chez Debussy
Mémoires d’un amnésique
La journée d'un musicien (fragment)
L’artiste doit régler sa vie.
Voici l’horaire précis de mes actes journaliers :
- Mon lever : à 7H18 ; inspiré : de 10H23 à 11H47.
- Je déjeune à 12H11 et quitte la table à 12H14.
- Salutaire promenade à cheval, dans le fond de mon parc : de 13H19 à 14H 53.
- Autre inspiration : de 15H12 à 16H 07.
- Occupations diverses (escrime, réflexions, immobilité, visites, contemplation, dextérité, natation, etc.) : de 16H21 à 18H47.
- Le dîner est servi à 19H16 et terminé à 19H20.
- Viennent des lectures symphoniques, à haute voix : de 20H09 à 21H59.
- Mon coucher a lieu régulièrement à 22H37. hebdomadairement, réveil en sursaut à 3H19 (le mardi).
- Je ne mange que des aliments blancs : des œufs, du sucre, des noix de coco, du poulet cuit dans de l’eau blanche ; des moisissures de fruits, du riz, des navets ; du boudin camphré, des pâtes, du fromage (blanc), de la salade de coton et de certains poissons (sans la peau).
- Je fais bouillir mon vin, que je bois froid avec du jus de fuchsia.
- J’ai bon appétit ; mais je ne parle jamais en mangeant, de peur de m’étrangler.
- Je respire avec soin (peu à la fois).
- Je danse très rarement.
- En marchant, je me tiens par les côtes et regarde fixement derrière moi.
- D’aspect très sérieux, si je ris, c’est sans le faire exprès. Je m’en excuse toujours et avec affabilité.
- Je ne dors que d’un œil ; mon sommeil est très dur. Mon lit est rond, percé d’un trou pour le passage de la tête.
- Toutes les heures, un domestique prend ma température et m’en donne une autre.
- Depuis longtemps, je suis abonné à un journal de modes. Je porte un bonnet blanc, des bas blancs et un gilet blanc.
- Mon médecin m’a toujours dit de fumer. Il ajoute à ses conseils : — Fumez, mon ami : sans cela, un autre fumera à votre place.
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Ce prétendu régime alimentaire exclusivement composé d’aliments blancs a suscité fascination et intrigue. Cette description, à la fois absurde et précise, reflète l’humour décalé et l’esprit sati(e)rik du compositeur. Bien que cette anecdote soit devenue célèbre, il est totalement improbable que Satie ait réellement suivi un tel régime (les côtelettes de Debussy ou les gigots à point, qu'il applaudit, ne se caractérisent pas par leur blancheur).
Il s’agissait là d’un geste artistique, d’une provocation destinée à intriguer son entourage et à renforcer la mystique d’un artiste excentrique.
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Satie pouvait engloutir 30 œufs ou 150 huîtres
La nourriture et l'alimentation étaient des thèmes fréquents de l'humour extramusical de Satie. Sa pauvreté lui faisait parfois trop connaître la faim, ce qui l'amena à faire cette remarque ironique : "C'est étrange. Vous trouverez dans chaque bar quelqu'un prêt à vous offrir un verre. Personne ne rêve jamais de vous offrir un sandwich". Dans une lettre à son frère Conrad, Satie affirmait en plaisantant que son appétit était gargantuesque dans les occasions où il pouvait manger à sa guise : il pouvait dévorer une omelette de 30 œufs ou 150 huîtres en une seule fois. Son affinité pour le Rabelais obsédé par la nourriture et l'obsession de la gastronomie est clairement exprimée dans les Trois petites pièces montées .
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Satie et Braque, gueuletonnaient ensemble toutes les semaines
Le compositeur des "Gymnopédies" venait déjeuner chaque semaine chez son ami peintre, avec lequel il échangeait aussi bien sur la peinture que sur la musique, en véritable amateur d'art : à la fin de sa vie, Satie fréquentait plus volontiers des artistes peintres que des compositeurs. Braque était un mélomane averti, il jouait du violon - qu'il a appris auprès de Gaston Dufy, le frère du peintre du même nom -, de la flûte ou encore de l'accordéon. Cette amitié est particulièrement visible dans "Guitare et verre", où l'on aperçoit la partition de "Socrate", drame symphonique de Satie. En 1920, c'est aussi une partition de Satie, la comédie lyrique " Le Piège de Méduse", que Braque illustre de trois bois gravés en couleur.
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Fernand Leger et Erik Satie avaient le coup de fourchette gaillard
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Selon Fernand Léger, c'est à l'occasion d'un de leur fameux déjeuné que Satie exposa les bases de ce qu'il baptisera "La musique d'ameublement". En effet, explique Leger : "Nous déjeunions, avec des amis et Satie dans un restaurant. Obligés de subir une musique tapageuse, insupportable nous quittons la salle et Satie nous dit : "Il y a tout de même à réaliser une musique d’ameublement, c’est-à-dire une musique qui ferait partie des bruits ambiants, qui en tiendrait compte. Je la suppose mélodieuse, elle adoucirait le bruit des couteaux, des fourchettes sans les dominer, sans s’imposer. Elle meublerait les silences pesants parfois entre les convives. Elle leur épargnerait les banalités courantes. Elle neutraliserait en même temps les bruits de la rue qui entrent dans le jeu sans discrétion". Ce serait, disait-il, répondre à un besoin.
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Man Ray raconte une anecdote avec Satie lors d'un repas
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