
Auditorium virtuel Claude Ballif
A 42 ans, il en sort diplômé mention très bien
Les critiques dédaigneuses dont il fut l’objet, qui lui reprochaient notamment l'aspect "informel" de sa musique, produisirent leur effet insidieux. On peut voir à l’œuvre l’effet pervers d’institutions dont le jugement détruit toute ambition de sortir d’un cadre imposé. Satie finit par douter de ses propres compétences au point de vouloir consolider son métier de musicien. A l’âge de trente-neuf ans, il décide alors de reprendre ses études musicales.
En 1905 donc, il a eu le courage d'entrer à la prestigieuse SCHOLA CANTORUM et de redevenir un élève. Mais cette fois-ci un élève studieux et assidu, celui de Vincent d'Indy d'abord, puis d'Albert Roussel...de 3 ans son cadet. Roussel fut très surpris de la présence de cet élève qu'il considérait comme : "...un musicien accompli n'ayant nul besoin de formation !".

Certains de ses détracteurs n'étaient pas loin de voir en ces fantaisies littéraires et picturales une compensation au vide de ses partitions. En enrichissant ses partitions de sa poésie, Satie se serait consolé de devoir se cantonner à la modestie de ces pièces minuscules. Regorgeant d’agrégats jusque là inédits, les harmonisations de ses compositions sont jugées erratiques par ses contemporains qui soupçonnent qu’elles soient le fruit du hasard et non d’une étude rigoureuse.
C’était bien ignorer les tableaux que l’on retrouvera plus tard dans les notes de Satie, répertoriant, cataloguant les enchaînements d’accords qu’il devait utiliser tels quels dans ses œuvres.
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Satie écrit à son frère Conrad : "Je me suis mis à travailler avec d'Indy. J'étais las de me voir reprocher une ignorance que je croyais avoir, puisque les personnes compétentes la signalaient dans mes œuvres. Trois ans après un rude labeur, j'obtins à la Schola Cantorum mon diplôme de contrepoint & d'harmonie (le seul qu’il aura jamais obtenu !) paraphé de la main de mon excellent maître, lequel est bien le plus savant et le meilleur homme de ce monde ". La redoutable discipline du contrepoint à laquelle Satie s'était consacré alors convenait au caractère d'ascétisme qui était, dorénavant, celui de sa musique. Lors de ses années estudiantines à la Schola Cantorum (en tant qu'exercice du Cours, de dernière année) Satie écrivit à l'intention de Vincent d'indy une Petite Sonate...quelle de fut pas sa surprise en recevant les louanges du Maître des lieux.
Il existe peu de cas d’artistes ayant nagé à contre-courant de leur époque durant toute leur vie sans s’épuiser. Selon Robert Caby.Trois ans après la mort de Wagner, à une époque où Fauré, Franck, d’Indy et Saint-Saëns produisaient d’abondantes symphonies, concertos et poèmes symphoniques, il fallait un certain "cran" pour coucher dix accords sur le papier, les répéter quatre fois et intituler le tout "Ogives". " Satie ne cherchait pas les suffrages des professionnels, des juges, des théoriciens, des critiques douillets, des " emmerdeurs ", comme il disait. Roussel avait assurément raison ! Satie n'avait pas besoin de formation, il était accompli. Pour autant, il poursuivait deux objectifs ; obtenir une reconnaissance minimum de son talent et se débarrasser définitivement du syndrome de l'imposteur qui le hantait.

Contrepoint & harmonie
Le contrepoint, développé au Moyen-Âge, est une forme d'écriture musicale qui s'applique à la polyphonie. C'est une technique de composition caractérisée par la superposition de lignes mélodiques jouées simultanément (point contre point, ou note contre note). Le contrepoint mené dans les règles de l'art n'implique nullement l'identité ou la parenté des mélodies qui se superposent. Il suffit que soient respectées des règles concernant les consonances et les dissonances, la modulation, les fausses relations, etc. C'était d'ailleurs la marque des plus grands maîtres que de savoir produire de telles combinaisons de thèmes distincts ; Bach et Haendel, parmi de nombreux autres, n'y ont pas manqué.
Contrepoint et harmonie sont intimement liés. Entre les deux existe « une différence de point de vue plutôt que d'essence »â€¯: point de vue vertical pour l'harmonie ; horizontal pour le contrepoint.
En musique, l'harmonie est le fait que divers sons perçus ensemble concordent ou vont bien ensemble : par exemple, lorsque la musique jouée par plusieurs instruments semble harmonieuse. L'approche harmonique est fondée sur les enchaînements d'accords lesquels donnent lieu à des lignes mélodiques. Chaque note est écrite pour son harmonie par rapport aux autres lues verticalement, entre lignes mélodiques. L'approche contrapuntique, elle, considère la qualité des lignes mélodiques. Les accords sont un phénomène secondaire perçu à des moments rythmiques précis. Chaque note est écrite par rapport aux autres lues horizontalement, au sein de la ligne mélodique, en vue de la qualité de la mélodie.
Les rapports entre d'Indy et Satie furent excellents et on sourit en retrouvant le "diplôme de sortie de classe" que signait le "Maître" en 1908, constatant que Monsieur Satie, Erik, élève du cours de contrepoint, a satisfait aux examens de fin d’année avec la mention très bien et qu’il remplit les conditions requises pour se livrer à l’étude de la composition…

Fugue (L'Offrande musicale) de Jean-Sébastien Bach, une des formes les plus élaborées du contrepoint.
"Si je dois être l’élève de quiconque, je crois pouvoir dire que c’est de nul autre que moi…"
Une des forces créatrice de Satie résidait dans sa capacité à rire de ses idées antérieures pour mieux s’en débarrasser (y compris de son passage à la Schola Cantorum) et ainsi se dégager le chemin pour continuer d'oser ce que personne n’avait osé jusque là !
L’histoire de la SCHOLA CANTORUM est d’abord l’histoire d’une volonté
Celle d’un seul homme : Charles BORDES (1863-1909). Il jette dès 1890 les bases de son entreprise. En 1894, il réunit quelques amis bienfaiteurs et actionnaires et crée une société qui prend le nom de « Schola Cantorum ». Parmi les premiers collaborateurs dont s’entoure Bordes figurent deux grands musiciens dont la renommée viendra cautionner son projet : Alexandre GUILMANT (1837-1911) et Vincent d’INDY (1851-1931). L’école ouvre officiellement ses portes le 15 octobre 1896 rue Stanislas, dans le quartier Montparnasse, avant de s’installer définitivement, en 1900, dans le Quartier Latin, au 269 rue Saint Jacques, dans l’ancien couvent des Bénédictins anglais.
Dès 1900, Vincent d’Indy assure, jusqu’à sa mort en 1931, la direction de l’école. Depuis cette date, elle tient un rôle de premier plan et est profondément ancrée dans la vie musicale parisienne, française et internationale, ayant conquis ses lettres de noblesse tout au long du XXème siècle. Des milliers d’étudiants y ont été formés et des maîtres au prestige exceptionnel ont illustré son histoire. Parmi ceux-ci : Isaac Albeniz, Léon Barzin, Charles Bordes, Joseph Canteloube, Gaby Casadesus, Sergiu Célibidache, Jacques Chailley, Maurice Duruflé, Jean-Jacques Grunenwald, Alexandre Guilmant, Vincent d’Indy, Alexandre Lagoya, Wanda Landowska, Jean Langlais, Daniel Lesur, Roland Manuel, Olivier Messiaen, Darius Milhaud, Maurice Ohana, Ida Presti, Albert Roussel, Eric Satie, Déodat de Séverac, Paul Tortelier, Joaquim Turina, Edgar Varèse, Louis Vierne, Karin Waehner…
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« Il faut honorer ce petit coin de Paris où seul l’amour de la musique commande. » Claude Debussy
« … Schola Cantorum, cette grande enseigne, ne soulève pas seulement en moi une vague de musique. Elle couronne le souvenir de nos luttes de jeunesse. La Schola, que vénérait Erik Satie, élève de Vincent d’Indy, nous servait de drapeau contre l’impressionnisme et le néo-impressionnisme qui occupaient alors les âmes savantes, leur faisaient oublier que l’art n’est pas une physionomie mais un organisme et que la fugue construit les marches par où fuit le charme dangereux des sirènes. Il est probable que le fantôme de Satie rôde et veille à l’École… » Jean Cocteau