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Le bon Maître d'Arcueil

1898, le (The) Velvet Gentleman s'installe à Arcueil
Satie a quitté le Chat Noir de ses débuts. Depuis 1891, il est pianiste à l'Auberge du Clou.
Mais en 1899 il n'a pas d'autre choix, pour survivre, que d'être "tapeur à gage" dans plusieurs cabarets montmartrois.
Il parcourait tous les jours Arcueil - Montmartre à pied, soit près de 25 km aller-retour.

Un après-midi d’octobre 1898, Pacory, Grass-Mick et Satie se rendent donc dans la banlieue d’Arcueil-Cachan où ses amis l’aident à louer une grande chambre au deuxième étage du 22 (aujourd’hui 34) rue Cauchy, qui donne alors sur "une maison et des arbres". L’emplacement n’est pas entièrement le fruit du hasard, car Pacory est né là-bas et la chambre a été reprise par une célébrité alcoolique de Montmartre, Bibi-la-Purée (André Salis), un parent de Rodolphe Salis, le flegmatique "bonimenteur" du Chat Noir. Les tableaux contemporains du musée du Vieux Montmartre montrent un vagabond digne avec un parapluie, mais Bibi-la-Purée était un ami de Verlaine, dont le portrait a été peint par Picasso et Jacques Villon, probablement en raison de sa notoriété en tant que "roi de la Bohème". Il semble avoir eu des habitudes assez répugnantes, car Satie a été contraint de vivre en famille pour la seule fois connue de sa vie afin de rendre habitable son nouveau logement à la Maison des Quatre Cheminées.

 

Comme il le dit à son frère Conrad le 8 novembre 1898 : « Je suis ici maintenant pour frotter le sol de ma chambre avec du carbonate de soude et l'oindre de savon doux ; lorsque cette tâche sera terminée, je cirerai moi-même ledit sol ». Au début, Satie ne passait que quelques nuits à Arcueil, où il était attaqué par des « moustiques, certainement envoyés par les francs-maçons ». Plus tard en novembre, ses "tableaux, son matelas, son coffre et son banc" arrivèrent par charrette à bras de Montmartre, suivis en décembre par les "précieux" objets. Mais Satie revenait fréquemment à Paris, collaborant à des projets théâtraux comme Jack-in-the-Box avec Dépaquit et Geneviève de Brabant avec Latour, qui occupèrent une grande partie de l'année 1899.

D'une manière ou d'une autre, Satie a acquis deux pianos à queue pour sa nouvelle chambre, qu'il a superposés, celui du haut servant de boîte aux lettres pour les lettres et les colis non sollicités. Un étroit passage avec un lavabo menait à la pièce, mais Satie devait aller chercher l'eau dont il avait besoin à une "fontaine de la place des Écoles" toute proche, et il préférait utiliser le passage pour ranger le matériel de gymnastique qu'il utilisait pour rester en forme. Satie a rapidement recouvert sa fenêtre pour se protéger des moustiques et des regards indiscrets des voisins curieux (avec des jumelles), et au cours du quart de siècle suivant, les seuls êtres vivants à pénétrer dans son étrange sanctuaire étaient les chiens errants occasionnels dont Satie avait pitié. Aucun autre nettoyage ne semble avoir eu lieu, et rien n'a été jeté.

 

Comme Satie était un thésauriseur compulsif, au moment de sa mort, la pièce était devenue un labyrinthe indescriptible et sale avec suffisamment de déchets pour remplir deux chariots. Bien que les précieuses toiles de Satie aient été protégées par des morceaux de papier journal, ses images étaient devenues invisibles sous la crasse. Il y avait des cannes, de vieux chapeaux, des chaussures, des cols cassés, des journaux, des partitions et des livres (avec des dédicaces d'amis comme Péladan, Debussy, Ravel et Cocteau) partout. Les sept costumes de velours couleur fauve identiques qu'il avait achetés en 1895 grâce à un petit héritage étaient empilés sur une armoire vide, dont personne ne peut deviner l'importance dans l'étrange existence de Satie.

Bredel suggère que Satie aurait pu méditer à l'intérieur, ou que cela était lié d'une certaine manière à sa fascination pour la magie, les rituels, les sorciers et les choses occultes qui refont si souvent surface dans ses dessins et ses écrits. Le miracle est que Satie en sortait chaque jour impeccablement habillé, "comme un acteur sort des coulisses", et la rumeur disait qu'il entretenait une liaison de longue date avec une blanchisseuse de Montparnasse et qu'il ne retournait pas à Arcueil aussi souvent qu'il le prétendait. Il est certainement difficile d'imaginer comment il a pu garder ses partitions et même ses carnets de croquis si propres s'il a effectivement beaucoup travaillé à Arcueil, et le tableau en réalité était triste et loin de la vie domestique confortable du dessin de Satie sur une lettre à Cocteau en 1917 montrée sur la couverture de ce livre. La table propre devait être autant un mythe que l'oiseau en cage et le chat, même si les deux derniers étaient peut-être symboliques.

Et même ici, Satie rêve plutôt qu'il ne compose, peut-être d'une existence idéale. Car il faisait souvent référence ironiquement à ses domestiques et à ses domaines dans ses lettres, et malgré ses opinions d'extrême gauche, sa vision était celle d'une existence luxueuse et ordonnée. Ses dessins sont remplis de châteaux et de châteaux, à des années-lumière de la prison qu'il s'était imposée à Arcueil.

 

En 1899, Érik Satie est pianiste — tapeur à gages, dit-il — sous l’enseigne de plusieurs cabarets montmartrois. Il compose des mélodies — des rudes saloperies — pour Vincent Hyspa et Paulette Darty.
Tous les jours, au petit matin, il rentre à pied jusqu’à la rue Cauchy (une vingtaine de kilomètres environ.)

 

Le 19 octobre 1899, à Paris, Érik Satie est le témoin de Claude Debussy qui épouse Marie-Rosalie Texier dite « Lilly ».
Érik écrit à son frère Conrad : "Si je n’avais pas Debussy pour causer des choses un peu au-dessus de ce dont causent les hommes vulg
aires, je ne vois pas comment je ferais pour exprimer ma pauvre pensée — si je l’exprime encore".

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Le 30 avril 1902, à l’Opéra-Comique, la création de Pelléas et Mélisande, drame lyrique en cinq actes de Claude Debussy (un opéra après Wagner, et non pas d’après Wagner, souligne son compositeur), sur un livret de Maurice Maeterlinck et sous la direction d’André Messager, révèle "le bon Claude" au monde entier.
Est-ce le succès ou le génie de son "meilleur ami" qui bouleverse à ce point Érik Satie ?

A son frère Conrad, il explique : "Plus rien à faire de ce côté-là, il faut chercher autre chose ou je suis perdu".
 

En 1903, en réponse à ceux (notamment Debussy) qui reprochent à sa musique d’être "informelle", Érik Satie compose Trois morceaux en forme de poire (en sept mouvements) pour piano à quatre mains.

Le 17 août, Satie écrit à Claude Debussy et parle de lui ainsi : "Monsieur Érik Satie travaille en ce moment à une œuvre plaisante (…) Monsieur Érik Satie est fou de cette nouvelle invention de son esprit. Il en parle beaucoup et en dit grand bien. Il la croit supérieure à tout ce qui a été écrit jusqu’à ce jour ; peut-être se trompe-t-il (…) Vous qui le connaissez bien, dites-lui ce que vous en pensez : sûrement il vous écoutera mieux que quiconque, tant est portée son amitié pour vous".
 
Érik écrit toujours à son frère : "Je m’ennuie à mourir de chagrin ; tout ce que j’entreprends timidement rate avec une hardiesse inconnue à ce jour".


En 1904, cependant, Satie compose le premier ragtime de la musique "savante" occidentale : Le Piccadilly.

C'est en 1905, à bientôt quarante ans, que Satie retourne à l’école, plus précisément à la Schola Cantorum, dirigée par Vincent d’Indy, où il s’inscrit au cours de contrepoint d’Albert Roussel.

Le compositeur des Gymnopédies, des Gnossiennes et de Trois morceaux en forme de poire devient l’élève d’un professeur plus jeune que lui.
Il change de costume.
Dorénavant, Érik Satie n’apparaîtra plus qu’en scribe bureaucratique, chapeau melon & faux col & parapluie.

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Tout revoir en musique : l'harmonie, le contrepoint,
la dissonance, la consonance, le phrasé...!

En 1908, Érik Satie est nommé : "Directeur bénévole du service intérieur
du patronage laïque
 de la mairie d’Arcueil"

Entre 1906 et 1908, Érik Satie compose Prélude en tapisserie + Allons-y Chochotte + Pièces froides pour un chien + Aperçus désagréables.

A Arcueil, Il s’occupe des enfants déshérités de la commune, les promenant tous les jeudis, et compose des piécettes pour piano adaptées à la morphologie de leurs petites mains.

 

En 1909, Maurice Ravel participe à la fondation de la Société Musicale Indépendante (SMI), aux côtés de Gabriel Fauré, Florent Schmitt et Charles Kœchlin, qui veulent se démarquer de la Société Nationale de Musique (SNM), jugée trop conservatrice (et dominée par César Franck).

L’anti-académisme proclamé d’un Érik Satie est mis en avant par Ravel contre Debussy — lequel, soudain, n’est plus qu’un musicien "impressionniste", autrement dit, déjà, d’hier.

Exit le principal adversaire. Accessoirement, Érik Satie devient "le père de la musique moderne".


La relation entre Érik Satie et Claude Debussy aura duré un quart de siècle : de 1891 à 1917, ce n’est pas rien. Leur légende sera cousue main par Jean Cocteau dans une conférence donnée, pour la première fois, en 1920 :
"Debussy fréquentait alors l’auberge du Clou, mal vu des artistes de gauche, parce qu’il venait d’avoir le Prix de Rome — on l’évitait. Un soir, Debussy et Satie se trouvent à la même table. Ils se plaisent. Satie demande à Debussy ce qu’il prépare. Debussy composait, comme tout le monde, une "wagnérie". Satie fit la grimace : Croyez-moi, murmura-t-il, assez de Wagner ! (…) Pas de couplets, pas de leitmotiv — se servir d’une certaine atmosphère "Puvis de Chavannes" …


Le 7 août 1909, Érik Satie est élevé au rang d’Officier par le préfet de la Seine qui lui remet les Palmes académiques pour mérite civique. 

"J'eusse préféré le Mérite Agricole pour les fleurs et les plantes que je cultive" a dit Satie lors de la cérémonie.

Le 16 janvier 1911, salle Gaveau — Gloria In Excelsis Locus ! — Maurice Ravel et le pianiste Ricardo Viñes interprètent la troisième Gymnopédie, la deuxième Sarabande et un Prélude du Fils des étoiles.

Le programme présente Érik Satie comme un compositeur qui occupe dans l’histoire de l’art contemporain une place véritablement exceptionnelle. En marge de son époque, cet isolé a écrit jadis quelques courtes pages qui sont d’un génial précurseur. Ces œuvres malheureusement peu nombreuses, surprennent par une préscience du vocabulaire moderniste et par le caractère quasi prophétique de certaines trouvailles harmoniques.

L’homme et l’œuvre sont inséparables. Satie a vécu au moins cinq vies musicales.

Le 25 mars de la même année, salle Gaveau — Gloria In Excelsis Locus /bis — Claude Debussy dirige son orchestration des Gymnopédies (1 & 3) lesquelles l’emportent en applaudissements sur ses propres compositions.

Au lieu de féliciter son ami (qui n’attend que ça), Debussy est convaincu que Satie a voulu l’humilier.

De son côté, Érik écrit à son frère Conrad : "Pourquoi ne veut-il pas me laisser une toute petite place dans son ombre ? je n’ai que faire du soleil".

 

Érik Satie continuera à venir déguster des côtelettes et des œufs, arrosés d’un petit-vin-blanc-je-ne-vous-dis-que-ça, chez Claude Debussy qui lui présentera, un beau jour de juin : Igor Stravinsky.

"Il me plut du premier coup, se souviendra Igor, en dictant ses Mémoires. C’était une fine mouche. Il était plein d’astuce et intelligemment méchant".

 

En 1912, Érik Satie commence à publier dans la Revue musicale S.I.M. des extraits de ses Mémoires d’un amnésique.

 

En 1913, il rencontre Georges Auric, de trente-trois ans son cadet, compositeur & membre fondateur du "Groupe des Six", qui finira par se brouiller avec lui, comme avec tout le monde.

Maurice Sachs se souvient d’Érik Satie : "Il était tout gris. Sa modestie cachait beaucoup d’amertume, d’horrible misère, des peurs nerveuses, des haines dissimulées. Il était susceptible à l’excès, vindicatif, rancunier et pourtant point méchant dans le fond".

- Les Ballets Russes créent Le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky.
- Guillaume Apollinaire publie Calligrammes.
- Marcel Proust (à compte d’auteur, chez Bernard Grasset[31], après que le manuscrit a été refusé au Mercure) : Du côté de chez Swann
- Érik Satie compose Sports et Divertissements + Trois valses distinguées du précieux dégoûté (en réplique aux Valses nobles et sentimentales de Ravel).
Le concept-album Sports et Divertissements est une commande du journaliste & éditeur Lucien Vogel, lequel avait d’abord sollicité Igor Stravinsky … finalement trop cher pour lui.

Dans la Préface, Érik Satie écrit : "Cette publication est constituée de deux éléments artistiques : dessin et musique. La partie dessin est figurée par des traits — des traits d’esprit ; la partie musicale est représentée par des points — des points noirs. Ces deux parties réunies en un seul volume forment un tout : un album. Je conseille de feuilleter ce livre d’un doigt aimable et souriant, car c’est ici une œuvre de fantaisie. Qu’on n’y voie pas autre chose."

Un arcueillais engagé au service des défavorisés

Le 28 juin 1914, l’Archiduc François-Ferdinand d’Autriche, héritier de l’Empire austro-hongrois, et son épouse Sophie Chotek, duchesse de Hohenberg, sont assassinés à Sarajevo. Les jeux d’alliances diplomatiques entrainent l’Europe dans la Première Guerre industrielle Mondiale.


Au lendemain de l'assassinat de Jaurès, il exprima son indignation en s'inscrivant à la SFIO. Il aimait sincèrement les travailleurs et il était un chaud partisan de l'adhésion à la IIIe Internationale (adhésion jouée à une voix). Quoi qu'il en soit, il est devenu un des premiers membres de la section arcueillaise du Parti Communiste. 


Lors du Congrès de Tours, en 1920, Satie adhère donc au Parti communiste qui venait de se séparer du Parti socialiste. Il sera d’ailleurs un des premiers intellectuels français à le faire. Il est certes pétri de paradoxes, mais restera intransigeant sur ses orientations artistiques, politiques et sociétales au sens large. Sa grande amie la journaliste Séverine (excellente pianiste à l'instar de Louise Michel) adhèrent le même jour.

Satie et Séverine se côtoient occasionnellement dans des cabarets parisiens et s'apprécient. Satie avait choisi de rompre avec les reptations bourgeoises. Chaque jour, raconte Séverine, "il était témoin des souffrances ouvrières et des grèves qui ne trouvaient leur aboutissement qu’en des mouvements violents, réprimés par la police. Poursuites et arrestations se multipliaient. A travers ses lunettes de fer, Satie voyait la réalité de ce monde-là et entendait le fredon des richards parisiens et de leurs exaspérants représentants, les commentateurs labélisés".
 

Son affectif le guidait, il ignorait tout du marxisme théorique et n'en voulait rien savoir.
Il ira jusqu'à écrire dans l'Humanité, mais trouvant que ses camarades bolchéviques ne faisaient souvent pas mieux que les bourgeois, il faisait le bien autour de lui, pas seulement en enrichissant les débits de boisson, mais aussi en collectant ou en organisant des sorties pour les enfants défavorisés de sa ville.
 
Le 2 août 1914, la Mobilisation Générale est décrétée en France. 
Trop vieux pour être appelé sous les drapeaux (48 ans), Érik Satie s’engage dans les Milices Socialistes d’Arcueil — rapidement dissoutes pour tapage nocturne.

En 1917, Satie compose la partition de Parade, un ballet qui fait scandale tant il est "sur-réaliste", comme le dira Appolinaire. Satie introduit la notion de bruitage qui heurte les critiques musicaux. 

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ARCHIVES SONORES
L'INCONNU D'ARCUEIL
INVITATION A LA BAL(L)ADE

"Je m'appelle Erik Satie comme tout le monde." - Erik Satie

Sa musique se révèle extrêmement simple et pure, à l'opposé du grandiose.

En avance sur son époque. Son importance est considérable dans la musique moderne. 
De 1920 à sa mort, la vie de Satie se partage entre les salons du boulevard Saint-Germain (qui le font vivre),

et la section radicale-socialiste d’Arcueil, tendance communiste. Le véritable projet de Satie était de nature politique. Il croyait à l’éveil des masses par une musique "à l’emporte-pièce", qu’illustre le ballet Mercure (décors de Picasso), et "instantanéiste", pour le ballet Relâche (décors de Picabia) avec un Entr’acte cinématographique de René Clair, authentiquement surréaliste.

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