
Auditorium virtuel Claude Ballif
Un dîner à l'Elysée


La chanson intitulée "Un dîner à l’Élysée" est une charge comique écrite par Vincent Hyspa, sur une composition d'Erik Satie. Comme l’indique ce titre, Vincent Hyspa permet à son auditoire d’assister à un repas donné à l’Élysée en l’honneur de "grands peintres français". Or, dans ces couplets, il n’est nullement question d’art. Le chansonnier décrit en effet la conversation insipide du couple présidentiel davantage préoccupé par des désirs gastronomiques que par le talent des convives réunis à cette occasion. Dans ces vers, le chansonnier souligne la démagogie dont font preuve le président et sa femme. Au lieu de débattre de problèmes liés à l’art, ils ne s’enquièrent que de satisfaire la faim et d’étancher la soif de leurs invités lors de cette soirée.




Paroles sarcastiques & musique burlesque
Ce sont quelques lignes publiées dans les journaux qui sont à l’origine de cette chanson dans laquelle le chansonnier donne libre cours à sa verve caustique. Le dimanche 30 avril 1899, une annonce explique tout d’abord aux lecteurs du Figaro que le président Loubet assiste à l’exposition des Beaux-Arts accompagné d’un guide servile, Jean-Paul Laurens, le président de la Société des Artistes français. Le Président de la République et Mme Loubet ont justement invité, lors d’un repas, les comités de la Société des Artistes français et de la Société Nationale des Beaux-Arts.
La fonction et les responsabilités du chef de l’état ne sont pas mentionnées. Le président est présenté comme un maître de maison ne se préoccupant que du bien-être de ses hôtes. L’affection de Vincent Hyspa pour la satire politique le porte en effet à dénoncer ce qui le frappe chez ses contemporains.
le chansonnier vise plus particulièrement la femme du président dans le second couplet, n’hésitant pas à souligner la platitude et le ridicule de sa conversation puisqu’elle cite une célèbre réplique de café-concert :
"En voulez-vous du z-homard ?".
Si la femme du président est effectivement tournée en dérision de par l’aspect insipide de sa conversation, remarquons également qu’en reprenant le titre de ce succès, la femme du président commet une erreur en prononçant une liaison qui n’a pas lieu d’être.
Il importe également d’ajouter que le principe de la scie de café-concert consiste à intégrer un message absurde au sein d’une chanson afin d’inquiéter les autorités.
Cependant, Georges Leygues, alors ministre de l’instruction publique et des Beaux-Arts, ne semble guère affecté, que ce soit par la présence de cette scie ou par le niveau d’instruction de l’épouse du président. Par la présence de ce crustacé, Vincent Hyspa nous semble en outre glisser une allusion à la carrière d’officier de marine, autrefois envisagée par Georges Leygues avant de se lancer dans la politique.
Les couplets d’"Un dîner à l’Élysée" sont accompagnés par une musique burlesque, à la Satie, s’adaptant à l’esprit narquois de Vincent Hyspa. Lors du refrain, on assiste à la reprise de l’air de La Marseillaise. La présence de l’hymne national paraît ici incongrue, en rupture avec la conversation du couple présidentiel.
Tout d’abord, Vincent Hyspa décrit cette réunion d’un point de vue général dans le premier couplet, tandis qu’il dépeint les convives présents lors de ce dîner dans le second. Parmi les invités, un homme politique français est présent, Georges Leygues, à l’époque ministre de l’instruction publique et des Beaux-Arts. Le manque d’estime que lui porte Vincent Hyspa transparaît sans ambiguïté au travers des mots suivants : "Ce sale Leygues". Un autre convive se trouve également attablé, le peintre Jean-Paul Laurens, celui-là même que mentionnait Le Figaro, dont le style académique est particulièrement apprécié du chef de l’État puisque ses grandes peintures murales ornent l’Hôtel de Ville de Paris et le Panthéon. Ironisant en l’appelant "Monsieur", Vincent Hyspa rappelle ainsi sa fonction de peintre officiel et de membre de l’Académie des Beaux-Arts. Dans "Un dîner à l’Élysée", chaque couplet s’achève de façon satirique.
Le premier couplet permet de présenter les différentes entrées composant le repas de cette réception et d’insister sur les extravagances du président Émile Loubet qui intègre des spécialités russes comme le caviar afin de s’attirer les faveurs de son allié. La présence de ce mets sous-entend ici le renforcement de la signature de l’alliance franco-russe en août 1899, laquelle consiste à soutenir la Russie dans sa politique balkanique afin d’obtenir en échange de l’aide concernant l’Alsace-Lorraine.
Erik Satie & Vincent Hyspa, une vraie complicité
Vincent Hyspa ayant fait la connaissance du compositeur Erik Satie à l’Auberge du Clou, une amitié se noue entre les deux hommes, débouchant sur une collaboration artistique. Vincent Hyspa possède en effet le privilège d’avoir au sein de son répertoire des œuvres écrites par Satie, fait suffisamment rare pour être mentionné. Bénéficier du concours d’un compositeur pour mettre en musique ses textes est en effet un atout non négligeable car, à cette époque, seuls les cafés-concerts peuvent se permettre d’obtenir de nouvelles chansons en rétribuant leurs auteurs. Si les cabarets ne peuvent faire rêver leur clientèle par des airs nouveaux, ils peuvent néanmoins lui permettre de s’évader grâce au contenu poétique ou littéraire des œuvres interprétées.

Analyse musicale
Les chansons écrites par Vincent Hyspa et composées par Erik Satie sont destinées à être interprétées le plus souvent au cabaret. "Un dîner à l’Élysée" contient quatre couplets composés de six vers n’ayant pas le même nombre de syllabes. Elle repose sur un rythme à 2/4, et un refrain à 4/4. Si les couplets sont chantés, le refrain, quant à lui, est parlé sur un rythme "très lent" évoquant l’hymne national français.
Les couplets de la chanson reposent essentiellement sur l’exposition, la répétition ou l’alternance de rythmes simples, notamment la noire suivie de deux croches, mais aussi quatre croches suivies par une noire pointée et un demi-soupir.
Cette utilisation répétitive traduit l’ennui des convives et l’aspect anodin de leurs conversations. La présence de syncopes dans cette mélodie est révélatrice. Par exemple, l’apparition d’une croche et d’une noire à la mesure 12 permet d’appuyer la première syllabe du mot "français", ce qui a pour effet de souligner le patriotisme du président. Pendant trois mesures, un rythme agogique, employant une croche pointée suivie d’une double croche, crée un accroissement rapide de la tension. Le rythme mélodique confirme également cette tension par la descente vers le grave, laquelle se voit stoppée brutalement par quatre noires. Le rythme de ce refrain s’oppose à celui des couplets. Les deux premiers vers des couplets débutent en effet sur les temps forts de façon vigoureuse. L’allure du chant est dynamique afin de traduire l’aspect officiel de ce repas. Puis, à partir du troisième vers, la mélodie se développe sur des temps faibles afin de traduire l’ironie. Le côté solennel de la réception s’efface, tandis que le chant devient moqueur. L’utilisation de la syncope renforce les sarcasmes présents dans le texte et prépare la chute de la chanson. D’ailleurs, l’emploi d’un rythme agogique dans le dernier vers renforce l’effet burlesque. Cette tension, créée par deux doubles croches, appuie l’aspect satirique du texte de Vincent Hyspa.