
Auditorium virtuel Claude Ballif
1800 Francs de dommages & intérêts
assortis de 8 jours de prison fermes

Le 18 mai 1917, les représentations de Parade (musique de Satie, livret de Cocteau, décor et costumes de Picasso, commande des ballets russes), au Châtelet provoquèrent un scandale. Le critique Jean Poueigh enfonça le clou au cœur d’Erik Satie, en parlant d’ "outrage au goût français". Satie lui envoie alors trois cartes postales injurieuses, entre autres il lui écrit : "vous êtes un cul -si j’ose dire-, un cul sans musique". Les insultes étant publiques puisque sans enveloppes, le critique traîne Satie devant les tribunaux où le compositeur est condamné à 1800 francs d’amende et dommages et intérêts, plus 8 jours de prison ferme. Une mécène paya l’amende, et Satie fut gracié pour la prison (sa peine fut commuée en 8 jours de prison avec sursis).
Suite aux critiques violentes de Poueigh, Satie répondit en 3 temps
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Le 30 mai : « … Mais ce que je sais c’est que vous êtes un cul -si j’ose dire-, un "cul sans musique". Surtout, ne venez plus me tendre votre main de salaud ».
Puis le 3 juin, sur une carte postale adressée à "Jean Poueigh, Grand Fourneau Général, Chef des Gourdes et des Veaux" : « Tu n’es pas aussi “con” que je croyais… Malgré ton air d’andouille et ta vue basse, tu vois les choses de loin ».
Enfin, le 5 juin, ainsi libellée à "Monsieur Jean-Foutre Poueigh, Célèbre Gourde et Compositeur des Andouilles"
: « Vilain cul, je suis ici d’où je t’emmerde à tour de bras ».
À la suite de ces échanges d’amabilités, Jean Poueigh fit un procès à Satie pour diffamation publique, car les envois de Satie se faisaient sur cartes postales privées d’enveloppes et que la concierge pouvait les lire. ​​​
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Le peintre Gabriel Fournier, grand ami de Satie témoigne :
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" Le soir de la "générale", Poueigh vint complimenter Satie dans sa loge. Quelle ne fut pas la stupéfaction de Satie, en lisant, la semaine suivante, le papier de Jean Poueigh éreintant son œuvre en termes blessants et bas. Satie cédant à un mouvement impulsif très compréhensible, décida de lui répondre pour marquer son indignation et sa surprise. Sur une carte postale ouverte, Satie griffonna ces simples lignes d'humour le plus rosse : "Monsieur et cher ami, vous n'êtes qu'un cul, mais un cul sans musique". Dépourvu de tout esprit, Jean Poueigh poursuivit Satie en correctionnelle pour injures publiques et diffamation. Au cours de l'audience à laquelle j'assistais, je revois Satie l'oeil pétillant, gêné par l'émotion, outré par l'injustice, s'avançant à la barre d'un petit pas feutré, ses mains gantées tenant crispé son chapeau melon contre sa poitrine en un geste élégant, avec _ comme toujours _ son éternel parapluie accroché au bras. Cette séance fut odieuse.
On plaida contre l'art et les artistes modernes qualifiés de " boches " !
Dunoyer de Segonzac, de La Fresnay, L. A. Moreau, Derain, Apollinaire, tous des " boches " ! [...] " Erik Satie, musicien de génie, gloire de notre école française, fut condamné à huit jours de prison, sans sursis.[...] Nos cris redoublant à la lecture du verdict, l'expulsion du public fut ordonnée. Le bon Satie tournait vers nous un regard suppliant ; ses bons yeux semblaient nous inviter au calme. Mais ce n'était plus possible. Jetés dans la salle des pas perdus, Jean Cocteau, blanc de rage sous l'ocre artificiel de ses joues, Léon-Paul Fargue encore barbu, Lhote, Jacques Rivière, Ricardo Vines, Louis Durey, son frère René, Pierre Farrey et moi-même fûmes stupéfaits en voyant passer devant nous, l'air arrogant, l'avocat de Poueigh. Un remous et ce cri cinglant : "Je lui casserai la gueule à ce c...-là ! ". C'était Jean Cocteau qui lui administrait une paire de gifles. Immédiatement saisi par les gardes, Cocteau fut conduit au commissariat de police du sous-sol où nous le retrouvions dans l'état que l'on imagine après avoir été brutalement malmené ; le chauffeur de la voiture de son père fut saisi d'épouvante en voyant sortir et venir à lui son jeune maître sans cravate, chemise déchirée, chevelure hirsute et réellement " amoché ".
Une vraie épreuve pour Erik Satie
Il fut donc condamné à une forte amende et à de la prison ferme. Cette condamnation de sa musique par voie de critique et de juge fut une terrible épreuve pour Satie. Une mécène paya l’amende, et Satie fut gracié pour la prison (sa peine fut commuée en 8 jours de prison avec sursis, peine qui s’effacerait au bout de cinq années de bonne conduite), mais cette affaire le mina pendant au moins un an.
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Incompris de son vivant, Satie n'a jamais rien voulu faire pour s'attirer les faveurs des critiques et des pédagogues avec lesquels il entretenait des relations que l'on pourrait qualifiées de "rudes".
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"La poutre qui est dans l'œil de chaque critique lui sert de longue-vue pour apercevoir la faille qui est dans l'œuvre de chaque auteur".
"Il y a trois sortes de critiques : ceux qui ont de l'influence, ceux qui en ont moins, ceux qui n'en ont pas du tout. Les deux dernières n'existent pas. Toutes les critiques ont de l'influence".
" … Moi, je n'aime pas les pédagogues : je les connais trop ; car ce sont eux qui d'une main sûre, embrouillent et ratatinent tout ce qu'ils touchent, par des pesées, des mensurations, et des dosages comiques, mais empoisonnés… ".
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"Le critique sait tout, voit tout, dit tout, entend tout, touche à tout, remue tout, mange de tout, confond tout, et n’en pense pas moins !".
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"Messieurs les critiques vous n'êtes que des Jean-foutres et je vous emmerde à tour de bras !".
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​Malgré les éreintements de la critique bien-pensante, il reçoit le soutien des nouvelles générations.
Des musiciens inconnus, mais très prometteurs, se réclameront alors de son esthétique
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Satie a été le précurseur de la plupart des grands courants artistiques du 20e siècle : de l’impressionnisme au néo-classicisme, en passant par le dadaïsme, la musique atonale, le minimalisme et le théâtre de l’absurde. Il a initié ces mouvements sans avoir jamais adhéré à aucun d’entre eux.
Cet humble orgueilleux, a toujours pris soin de brouiller les pistes. Sa pudeur et son hypersensibilité l’ont amené à se créer un personnage, à s’entourer de mystère, et à se choisir, au milieu des humbles, une retraite dont il refusait l’accès à qui que ce soit. soucieux de ne jamais se répéter, il a obstinément cherché à débarrasser sa musique de tous les stéréotypes en vogue. Il composa à rebours de ce qu’il se passait à son époque, dans une forme d'insouciance totale vis à vis de ce que pouvaient penser de lui ses camarades musiciens, les critiques ou les pédagogues. Il magnait une forme d'ironie acerbe vis à vis de sa propre production ; en témoigne ce courrier adressé à Paul Viardot
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