
Auditorium virtuel Claude Ballif
Chapitres tournés en tous sens


Ecoutez "Celle Qui Parle Trop"
Pas de barre de mesure donc dans ce recueil de trois pièces pour piano d'Erik Satie, composé en 1913.
Comment interpréter les œuvres d’Erik Satie ?
Pour jouer Satie, il faut connaître Satie. Connaître le
personnage, sa vie, ses lettres, son rapport aux autres,
ses registres si différents.
"Il faut chercher dans des choses inhabituelles, à l’image du compositeur. Satie a un immense rapport au son, à la pureté, à l’humour, à la profondeur. On doit chercher toutes ces sensations, données et ressenties pour en faire quelque chose", explique la pianiste et professeur de piano Anne-Lise Gastaldi.
Anne-Lise Gastaldi fait souvent cette expérience avec ses élèves : "On regarde le titre, on se dit que c’est amusant, et puis il suffit d’entendre la musique pour qu’elle provoque un grand questionnement. J’aime confronter mes élèves à des choses énigmatiques, obscures, voire hermétiques. Surtout que les enfants apportent une innocence et une fraîcheur que Satie recherchait dans ses œuvres, écrites loin des codes de la musique de cette époque".
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"La musique de Satie est très difficile à interpréter. il n’y a pas de barres de mesures, c’est aux interprètes de trouver leur propre chemin", rappelle l’auteur Romaric Gergorin, auteur d’Erik Satie, une biographie sur le compositeur.
Ces annotations fantaisistes reviennent souvent dans l’œuvre de Satie. Tout d’abord dans les titres : Embryons desséchés, Véritables préludes flasques (pour un chien), Les trois valses distinguées du précieux dégoûté … "Elles ne correspondent pas à la musique, elles existent pour créer des éléments de distorsion, de diversion, pour créer le plus grand écart entre l’oeuvre, le titre et les commentaires", analyse Romaric Gergorin.
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Faut-il suivre à la lettre les indications d’Erik Satie ?
Doit-on les prendre au sérieux ?
"Ce ne sont en aucun cas des indications d’interprétation", avance la pianiste Anne Queffélec. Elle explique comment pallier ce paradoxe : "J’y vais avec mon coeur. Et je considère la salle comme un rassemblement d’individus singuliers où je joue pour chacun d’eux. Ce ne sont pas des clés de jeu, mais ce sont des clés à une ouverture à la liberté. Chacun a le champ libre", conclut la musicienne.
Erik Satie est parmi les compositeurs les plus énigmatiques de l'histoire de la musique. Excentrique, novateur, indépendant, sa personnalité et sa musique peuvent être abordées de mille façons.
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Chapitres tournés en tous sens est un recueil de trois pièces pour piano d'Erik Satie, composé en 1913.
"Triptyque [...] des plus réussis" selon Guy Sacre, le cahier est créé par le pianiste Ricardo Viñes à la salle Érard le 14 janvier 1914, au cours d'un concert de la Société musicale indépendante.
1. Celle qui parle trop - Vif (Pour Robert Manuel)
Satie a laissé de nombreuses esquisses pour le texte de cette pièce, signe de l'importance croissante que prenait l'élément verbal dans ses suites pour piano. Une dame traîne son mari dans un grand magasin, l'épuisant avec ses achats et ses commérages. Des triolets vertigineux illustrent son bavardage insensé ("Je veux un chapeau en acajou massif", "Madame Machin a un parapluie en os", "Mademoiselle Chose a épousé un homme sec comme un coucou") tandis que son époux exaspéré grogne sur l'air de "Ne parle pas, Rose, je t'en supplie" de l' opérette Les dragons de Villars (1856) d' Aimé Maillart . Ce thème ralentit jusqu'à une fin chromatiquement déformée alors que le mari tombe mort d'épuisement. L'épouse se tait enfin, et le dernier souffle de l'homme est doucement expulsé par un onzième accord non résolu .
2. Le porteur de grosses pierres - Très prêté (Pour Monsieur Fernand Dreyfus)
Satie a laissé de nombreuses esquisses pour le texte de cette pièce, signe de l'importance croissante que prenait l'élément verbal dans ses suites pour piano. Une dame traîne son mari dans un grand magasin, l'épuisant avec ses achats et ses commérages. Des triolets vertigineux illustrent son bavardage insensé ("Je veux un chapeau en acajou massif", "Madame Machin a un parapluie en os", "Mademoiselle Chose a épousé un homme sec comme un coucou") tandis que son époux exaspéré grogne sur l'air de "Ne parle pas, Rose, je t'en supplie" de l' opérette Les dragons de Villars (1856) d' Aimé Maillart . Ce thème ralentit jusqu'à une fin chromatiquement déformée alors que le mari tombe mort d'épuisement. L'épouse se tait enfin, et le dernier souffle de l'homme est doucement expulsé par un onzième accord non résolu .
Cette comptine pour enfants... aurait un sens caché et pamphlétaire qui ne s'adresse pas aux enfants : elle dénoncerait de façon détournée l'interdiction des maisons de prostitution pendant une partie du règne de Louis XIV et ferait l’apologie de l'orgie sexuelle. Sous l'influence de madame de Maintenon et face à une épidémie de maladies vénériennes, le roi signe l'ordonnance du 20 avril 1684 qui renforce les pouvoirs de la police et instaure le délit de prostitution. Les maisons de passe arboraient une branche de laurier au-dessus de la porte, ce qui explique le début de la chanson « Nous n'irons plus aux bois, les lauriers sont coupés ». Dans une autre version, Mme de Maintenon aurait demandé au roi de couper les lauriers du parc de Versailles car on y trouvait autant de filles que d'arbres.
Une souris verte
Une version non documentée ferait référence à la chasse aux sorcières que l'on menait au bûcher. La souris serait une femme, accusée de sorcellerie et essayant d'échapper à ses bourreaux. On la jugerait alors coupable (je la montre à ces messieurs) et l'enduirait d'huile et d'eau avant de la mener au bûcher.
Nous n'irons plus au bois
Est la chanson favorite de Claude Debussy, citée dans quatre de ses partitions :
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dans la mélodie "La Belle au bois dormant",
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dans Quelques aspects de "Nous n'irons plus au bois" parce qu’il fait un temps insupportable du recueil de 3 pièces pour piano "Images oubliées",
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et dans Jardins sous la pluie du recueil de 3 pièces pour piano Estampes, et dans le troisième mouvement des "Images pour orchestre", Rondes de printemps.
3. Regrets des enfermés ( Jonas et Latude) - Soyez modéré (Pour Madame Claude Debussy)
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Dans le finale énigmatique, le texte s'étend sur des millénaires pour unir deux prisonniers aspirant à leur liberté : le Jonas biblique sorti du ventre de la baleine et l'intrigant du XVIIIe siècle Jean Henri Latude de la Bastille , où il passa de nombreuses années (quand il ne s'évadait pas) pour avoir tenté d'escroquer Madame de Pompadour. Satie cite alors les chansons folkloriques pour enfants "Une souris verte" et "Nous n'irons plus aux bois", cette dernière air a hanté son ami Claude Debussy pendant une grande partie de sa carrière, notamment dans "Jardins sous la pluie" de sa suite pour piano Estampes ; et la pièce est dédiée à l'épouse de Debussy, la chanteuse Emma Bardac. Le pianiste Viñes, qui créa les Estampes en 1903, aurait compris ces liens, mais ce qu'ils signifiaient pour Satie est sujet à caution. Considérait -il Debussy comme un homme emprisonné après son mariage controversé avec Bardac, comme l'a supposé Robert Orledge ? Si tel était le cas, la dédicace aurait été douloureusement ironique. Quoi qu'il en soit, il n'y a ici aucune tentative de citer la musique de Debussy ou d'imiter son style.
Ecoutez "Regrets des enfermés"
Ecoutez "Debussy Images oubliées,
Quelques aspects de Nous nirons plus au bois"
