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Une enfance solitaire, faite d'allers-retours

Londres, 19 juillet 1865 : Jules Alfred Satie, courtier maritime à Honfleur, et Jane Leslie Anton, gouvernante anglaise d’origine écossaise, s’unissent par les liens du mariage dans une église anglicane. L’événement est mal accueilli par la mère d’Alfred, Eulalie Satie, catholique pratiquante et volontiers anglophobe. Lorsque le couple s’installe chez les parents d’Alfred (rue Haute), Eulalie déclare la guerre à sa bru venue d’Angleterre.
Honfleur, 17 mai 1866 : Jane Anton-Satie donne naissance à son premier enfant, Éric Alfred Leslie. Elle se bat pendant plusieurs mois contre sa belle-mère pour que le nouveau-né soit baptisé sous le rite de l’Église anglicane. Suivront trois autres petits anglicans, soustraits à Eulalie et à l’Église catholique, apostolique et romaine. Ils se nommeront : Olga (1868 -1948), Conrad (1869 -1938) et Diane (1871-1872).

HONFLEUR

PARIS

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En 1871, au lendemain du conflit Franco-Prussien et de la Commune de Paris, fatigué des guerres de religion atrabilaires menées par son épouse et sa mère — chaque jour que Dieu fait —, Alfred Satie décide de séparer les belligérantes. Il vend sa charge de courtier maritime et emmène femme & enfants à Paris.
Bilingue français/anglais, Alfred sera traducteur & libraire (le jour), compositeur & éditeur de musique légère (la nuit).

AU REVOIR HONFLEUR

HONFLEUR

1872 : annus horribilis. Le 27 avril, Diane, la benjamine de la fratrie Satie, meurt subitement à l’âge d’un an et demi. Six mois plus tard, le 27 octobre, Jane, la mère, succombe à une crise cardiaque à l’âge de trente-quatre ans. Le père, Alfred, se retrouve veuf à trente ans. Il confie ses enfants à sa famille et part à l’étranger. Olga, quatre ans, est accueillie par un grand-oncle, monsieur Fortin, au Havre. Conrad, trois ans, retourne chez ses grands-parents paternels à Honfleur, rue Haute.

 

Éric, lui aussi, revient au pays natal … cependant, à six ans, Eulalie considère qu’il est assez grand pour être mis en pension. Avant l’inscription au collège, le petit garçon devra abjurer la religion anglicane de sa maman et recevra, aux côtés de Conrad et Olga, le baptême catholique en l’église Sainte-Catherine, paroisse des Satie, construite au XVème siècle pour célébrer la fin de la Guerre de Cent Ans et le départ des Anglais.

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Éric n’a qu’un ami, son oncle Adrien Satie, surnommé Sea Bird, oiseau des mers intempérant qui l’emmène au théâtre et lui apprend à boire. "Mon oncle — ainsi que tous les braves militaires — buvait avec une surprenante abondance tout en racontant force histoires dont le sel lui grattait le gosier et le poussait à lever le coude sans arrêt".

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Rebaptisé "Crin-Crin", Erik s’intéresse à la musique. Afin de le soustraire aux poisons des cafés concerts, azur & maritimes, grand-mère Eulalie inscrit son petit-fils aux leçons de Gustave Vinot, organiste & Maître de Chapelle en l’église Saint-Léonard, ancien élève de l’école Niedermeyer, qui lui apprend l’art du plain-chant. Chant monodique religieux, chant grégorien … le verbe de l’antique Église, l’âme du Moyen-Âge.

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1878 : annus horribilis /bis. Maître Vinot quitte le joli petit port de la jolie petite ville d’Honfleur pour un nouveau poste à Lyon, du jour au lendemain, sans prévenir ses élèves. Quant à l’oncle Sea Bird, il ne répond plus à l’appel. Et, le 14 septembre, grand-mère Eulalie meurt d’hydrocution sur la plage de Vasouy, à quatre kilomètres au sud de la rue Haute.

PARIS

Éric Satie a douze ans et il est seul au monde. Après sept ans de voyages à l’étranger, Alfred Satie est de retour à Paris. Le 21 janvier 1879, il épouse en secondes noces Eugénie Barnetsche — pianiste & compositrice de salon —, récupère ses trois enfants — Éric, Conrad & Olga —, et loue un appartement rue de Constantinople, dans le 8e arrondissement.

Crin-Crin aime la musique ? Sa belle-mère (qu’il déteste) en fera un musicien bien installé. Elle l'inscrit au Conservatoire National Supérieur où il mettra un point d’honneur à s’ennuyer comme un rat mort.


En septembre 1884, Érik Satie, dix-huit ans, orthographie son prénom avec un « k » (en hommage à ses ancêtres Vikings, dit-il) pour signer sa première composition : Allegro, une valse inspirée d’une chanson populaire. Érik Satie lit Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé ou encore Gustave Flaubert. Il écoute Bach, Chopin et les vedettes du café-concert. Ses nourritures terrestres sont d’une variété qui déplait ; la chanson de cabaret y côtoie le plain-chant médiéval, c’est original.

Satie est tout sauf un sentimental ; l’enseignement académique du Conservatoire l’horripile, l’autoritarisme niaiseux de sa belle-mère l’insupporte au plus haut point. 

Marcellin Desboutin, deux portraits d’Érik Satie dits « avant & après » (1893)

ARRAS

A l’automne 1886, Érik Satie quitte Paris pour Arras où il intègre, comme volontaire dans l’armée, la 33e division d’infanterie.
Normalement pour trois ans. Mais après quatre mois, c’en est trop pour lui, et nouvelle pirouette pour échapper à sa condition : il s’expose durant toute une nuit au froid afin de contracter une congestion pulmonaire.
Ce qu’il réussit avec brio, se libérant ainsi de ses obligations militaires le 14 novembre 1887.

PARIS

Érik Satie est réformé en avril 1887 et retourne à Paris. "Adieu képi rigide, paletot et retour à Paris. Voilà maintenant 3 mois que j'ai réintégré l'appartement de mon père et le fait est que je m'y sens maintenant aussi à l'aise qu'un hypocondriaque à un congrès de médecine. 21 novembre 1887. Mes   bons   amis,   je   couvre   de   baisers   le   jour   prochain.   En   effet,   demain   je   quitte définitivement la cellule (qui n’aura jamais si bien porté son nom) familiale. J’emménage dans une petite chambre rue Condorcet. Fi de ma belle-mère et de son encombrante mère acariâtre. Je laisse mon père avec ces deux vaches-là. Pauvre homme !". 

"Quand ma très chère et douce maman disparut, il semblait si inconsolable que l’idée ne m’avait pas effleuré qu’il se remarie un jour. De surcroît avec une demoiselle de 10 ans son aînée. Étrange d’être encore demoiselle quand on a largement l’âge d’être madame, non ?« Je vous présente Eugénie Barnetsche. Elle est professeur de piano ». La belle affaire ! Aucune autre sur terre ne remplacera jamais ma mère, Jane. Jamais ! Huit ans que je souffre cette Eugénie   qui s’attelle à régenter ma vie.  

Sans compter son académisme musical dépourvu de tout intérêt et qui m’insupporte au plus haut point. Merde à l’esclavage artistique ! Il y a quelques jours encore, une fois de plus, une fois de trop, elle s’est immiscée dans mon intimité. S’asseyant sur la bienséance, c’est sans prévenir qu’elle a ouvert la porte de ma chambre et, de fait, m’a surpris en compagnie rapprochée de la petite et fort aimable bonne de notre appartement. Quel scandale ne nous a-t-elle pas fait !? Nous ne faisions pourtant rien de mal, oserais-je avouer que nous nous faisions même plutôt du bien. Mais que les choses soient claires, je n’ai en aucun cas dépassé les limites que la décence impose à un jeune homme vis-à-vis d’une jeune femme et n’ait donc porté atteinte à son honneur. Et quand bien même c'eût été mon souhait, je n’en aurais pas eu le temps, la marâtre veillait. Il est temps pour moi de larguer les amarres. Je ne supporte plus cette illusion de famille recomposée. Décomposée. Je m’en vais composer ailleurs".

PARIS

A 21 ans Erik (avec un K) quitte l'enfance, quoique, pour voler de ses propres ailes au : 50 rue Condorcet

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